Les étapes de la création sonore
NT : Presque une année est passée à cheminer avant qu’on puisse découvrir ton film sonore. Que peux-tu nous dire sur les étapes que tu as dû traverser ?
Pour moi il y a eu 3 étapes principales :
L’étape de la découverte de la proposition de résidence et l’écriture de ma candidature – qui a d’abord été pour moi l’opportunité de concrétiser un projet de création que j’avais en tête, autour de la question immense de l’écoute
Le temps de la résidence au Zola, qui a été à la fois réjouissante et une première mise à l’épreuve de mon projet de départ. Lors de cette résidence, je suis assez peu restée en salle au final, parce que mon tournage se concentrait sur le travail d’une association d’écoute « La Porte Ouverte » qui a plusieurs antennes en France, dont une à Lyon, et qui a la particularité de proposer de l’écoute anonyme et sans condition ni rendez-vous en présentiel – moi j’ai tourné par exemple dans une de leur permanence située à l’entrée du Métro Bellecour à Lyon, très passager.
Enfin l’étape du choix de changer totalement de projet, et de me concentrer vraiment sur la proposition d’explorer l’expérience cinématographique d’un point de vue sensoriel, et sonore bien sûr.
Entre ces étapes, il y en a une multitude d’autres plus furtives, moins conscientisées. Le moins que l’on puisse dire c’est que ce parcours n’a pas été « tranquille » (mais ça ne l’est jamais). Lâcher une idée pour une autre n’est pas simple, mais ça fait partie du processus de création, et dans ce cas-là, ça a été un soulagement. J’ai finalement été plus attentive à la véritable demande de départ qui était à la fois très libre mais qui spécifiait déjà de relier son projet au cinéma (au sens large), d’une manière ou d’une autre. Il me semble que « Cette nuit choisie » a davantage sa place dans ce projet.
Les ingrédients de la pièce sonore
NT : Si tu devais sortir deux ou trois ingrédients essentiels devenus matériau de cette œuvre, ce serait quoi ?
La pièce « Cette nuit choisie » se concentre donc sur la salle de cinéma comme espace de vie, et plus particulièrement de repos, de refuge, de retrait.
Là encore, le premier point de départ est lié à une envie ancienne de travailler sur le souffle, le rythme de la respiration.
En parallèle à cette envie, il y a également celle de célébrer le sommeil et la vulnérabilité que l’on observe chez quelqu’un.e qui dort, quelque soit son âge, sa place dans la société. Cette vulnérabilité, cet état me touche beaucoup : j’y vois un des seuls moments où l’on est, tout simplement, même si les choses sont sûrement beaucoup plus complexes quand on s’intéresse à ce qui se passe réellement dans le sommeil. Mais ce que je retiens là c’est moins ce qui se passe quand on dort que l’état qu’on donne à voir : un être respirant, à la fois présent et absent.
Lors de ma résidence au Zola, une interview avec Manon Ruffel – la personne chargée de m’accueillir au sein du cinéma – m’a fait prendre conscience d’un aspect que j’affectionne particulièrement dans l’expérience d’aller au cinéma : celle du repos que le lieu propose (la plupart du temps). Et alors j’ai pensé au sommeil au cinéma ; ça allait bien avec ce rapport que beaucoup ont à la salle de cinéma comme cocon.
Toute cette réflexion et le processus de création qui a suivi ont aussi correspondu avec une période de ma vie personnelle où je ressentais simplement le besoin de repos, non pas de réclusion ou de replis, mais de répit.
«J’ai pensé au sommeil au cinéma ; ça allait bien avec ce rapport que beaucoup ont à la salle de cinéma comme cocon.»
NT : A l’origine, il y avait aussi un fragment d’une oeuvre de Marguerite Duras ?Je crois que tu parles d’un fragment écrit, qui n’apparaît pas dans ma pièce sonore.
« La lumière s’éteignit. Suzanne se sentit désormais invisible, invincible et se mit à pleurer de bonheur. C’était l’oasis, la salle noire de l’après-midi, la nuit des solitaires, la nuit artificielle et démocratique, la grande nuit égalitaire du cinéma, plus vraie que la vraie nuit, plus ravissante, plus consolante que toutes les vraies nuits, la nuit choisie, ouverte à tous, offerte à tous, plus généreuse, plus dispensatrice de bienfaits que toutes les institutions de charité et que toutes les églises, la nuit où se consolent toutes les hontes, où vont se perdre tous les désespoirs, et où se lave toute la jeunesse de l’affreuse crasse d’adolescence. »
Un barrage contre le Pacifique – Marguerite Duras
NT : J’ai la chance de connaître l’une de tes performances sonores sur le paysage, celle conçue à l’occasion d’un stage avec Alessandro Bosetti, que tu as eu l’occasion de jouer plusieurs fois au festival Longueur d’Ondes ou dans des musées. En quoi ton film sonore se rapproche-t-il de cette exploration ?
Cette performance s’appelle Bande passante.
Cette nuit choisie pourrait s’en rapprocher selon moi dans la mesure où les deux pièces sont des tentatives de re-fabrication d’espaces « réels », et par cette re-fabrication il y a la volonté d’en exacerber et d’en célébrer la simplicité d’y être présent, vraiment présent, et de partager cette expérience par la durée notamment, ou le cheminement.
Les deux sont aussi des expériences (sonores) avant tout pour moi ; ces expériences que je vis dans une attention renouvelée me guident ensuite dans le choix et la composition de ce que je veux donner à entendre, notamment avec l’idée en tête que ce sont des expériences vécues de toutes et tous.
« Ces expériences que je vis dans une attention renouvelée me guident dans le choix et la composition de ce que je veux donner à entendre, notamment avec l’idée en tête que ce sont des expériences vécues de toutes et tous. »
Les prémices de l’œuvre
Extrait de « Cette nuit choisie » (Claire Veysset) – Morceau choisi tiré de l’enregistrement « Les Ecoutants » (Claire Veysset)
Pour aller plus loin
Tout au long de cette fabrication, Claire Veysset s’est (re)plongée dans quelques ouvrages qui ont nourri « Cette nuit choisie » :
- Le projet Les Dormeurs de Sophie Calle
- Le film Memoria d’Apichatpong Weerasethakul
- L’article Dormir et dédormir, Maude Trottier
- Le livre Connexion, Kae Tempest
Propos recueillis par Nolwenn Thivault dans le cadre de l’enregistrement du film sonore « Cette nuit choisie » par Claire Veysset