Au commencement : l'archive
Nolwenn Thivault : Comment as-tu abordé cette résidence au Café des Images ?
Floriane Pochon : En me plongeant dans le projet et l’univers dont tu m’avais parlé, plusieurs mots ont ricoché, notamment la question des archives. C’est un sujet que je travaille depuis fort longtemps sur des modes très différents, du sample au piratage. Et j’ai une réflexion autour de ça : comment peut-on transformer cette matière inerte en « mémoire vive » ? En quoi peut-elle éclairer ce qu’on vit en ce moment ? Et comment elle éclaire la suite ? Cette couture en différentes strates temporelles m’intéresse beaucoup.
Mon autre point d’accroche est la formule interrogative, qui est ma formule préférée. Ça porte énormément de potentialités et de joie de simplement se poser une question, de revenir à cet endroit de l’enfance aussi, où on redevient curieux de tout. En fait la question est une une sorte de formule magique.
J’ai eu envie d’aller chercher dans cette salle de cinéma et dans ses archives la parole des auteurs, mais avec cette lorgnette particulière : allons chercher la question qu’ils se posent, eux, pas celles que nous on a à leur poser.
Peut-être qu’il y a vraiment une parole rare, qui ne s’est jamais produite ailleurs que dans cette salle noire un peu magique avec un écran. On peut raconter autre chose.
Évidemment, avec en toile de fond la période incertaine qu’on traverse et qui est emplie de questions sans réponses, je me suis demandé si on n’irait pas chercher de nouvelles questions justement. Parce que quand il n’y a pas de réponses, c’est souvent que les questions ont été mal posées.
D’où l’idée d’orpailler tout ça et de le transformer en oracle détourné.
« Comment peut-on transformer cette matière en mémoire vive ? »
Nolwenn Thivault : Quelles ont été les premières interrogations sur la forme ?
Je me suis donc demandé comment la relier à la salle de cinéma. Et j’ai tout de suite pensé à ce désir de savoir, tout de suite contredit par la peur du spoiler. C’est un peu le « on veut savoir mais pas trop quand même ! ».
Et comme ma sensibilité passe beaucoup par le vivant étendu au sens « extra-humain », j’avais envie de revenir à cette ancienne tradition des augures, soit la divination par les oiseaux. Ça me paraissait intéressant de convoquer cela grâce à la forme en dôme de cette salle mêlée au Dolby 5.1. Ainsi je pourrai faire se déplacer mes questions comme des oiseaux/auspices.
En résumé je vais créer dans la salle un espace de fiction où les pensées se croisent, s’entrechoquent…sans forcément chercher une narration linéaire. Au contraire je vais plutôt faire éclater les espaces et les temps, et en ramenant au présent ces voix qui ont traversé le Café des Images.
Il s’agira aussi de faire vibrer les murs, comme s’il pouvait y avoir une mémoire de la salle à travers toutes ces voix qui s’y sont succédées. Une invocation finalement ! Voilà toutes les obsessions que condensent ce projet de résidence !
« Je vais créer dans la salle un espace de fiction où les pensées se croisent s’entrechoquent »
Nolwenn Thivault : Les archives sont donc centrales dans ton projet, mais sur quoi es-tu tombée en arrivant au Café des images ? Et comment vas-tu t’en servir ?
Floriane Pochon : La réalité des archives de cette salle, ce sont des rangées et des rangées et des rangées de CDs ! Et il n’y a pas vraiment de nomenclature, au-delà des dates et titres de films. On ne sait pas forcément qui a parlé ce jour-là. Il y a aussi des cassettes et des fichiers numériques. Bref une grande diversité de supports. Pas simple de s’y retrouver.
Avec Elise Mignot, on s’est dit qu’on allait se servir de sa mémoire à elle comme filtre et qu’elle convoquerait des moments qui l’ont particulièrement marquée. On a trouvé comme ça un socle commun : cette notion de cinéma-monde avec plein de voix et de langues différentes, des engagements d’auteurs différents… Elle m’a ainsi sorti sept temps de rencontres différents. Du coup je me retrouve avec quand même 7-8 heures de rencontres à analyser, décortiquer, sampler…
Nolwenn Thivault : Tu parles de sample. Mais y aura-t-il d’autres matières sonores ?
Floriane Pochon : Oui ! Pour restituer la vitalité du lieu je vais beaucoup me servir des sons que j’ai enregistré sur place, mais pas forcément au sens littéral. Par exemple, j’ai utilisé un « géophone », un micro qui enregistre essentiellement les basses, les vibrations… Donc on sera plutôt sur des effets de résonnances qui donneront une couleur particulière.
« Il s’agira aussi de faire vibrer les murs, comme s’il pouvait y avoir une mémoire de la salle à travers toutes ces voix qui s’y sont succédées. Une invocation finalement ! »
Immerger par le son
Nolwenn Thivault : Ce jeu de résonance donne l’idée d’une expérience immersive. Et ton travail sera diffusé en Dolby 5.1. Est-ce lié à ton rapport à l’écoute et au son ?
Floriane Pochon : Pour moi les oreilles, c’est un point d’entrée. Ensuite le son circule et on écoute avec le reste de notre corps. On écoute avec nos ventres, avec nos pieds, avec nos os, avec nos crânes, nos angoisses aussi…
Pour moi, les sons ce sont des embrayeurs, des points d’entrées, de sorties, de jonctions. C’est une immense trame. Et voilà, il se trouve que j’ai cette sensibilité particulière à ce qui m’arrive par les oreilles et ça m’ouvre à plus d’espaces que les images.
Nolwenn Thivault : Et créer une œuvre sonore qui emploiera les codes de la diffusion cinéma, qu’est-ce que ça te permet ?
Floriane Pochon : Ce qui me paraît intéressant avec la salle, c’est que c’est un espace-temps dédié et donc la possibilité de jouer avec des habitudes. Quand je dis habitudes je pense à un rituel en fait. Quand on fait de la radio ou du podcast, c’est assez rare de savoir dans quelles conditions seront les gens quand ils découvriront votre travail. Là je sais qu’ils seront dans des conditions de confort d’assise et d’écoute maximale !
Dans l’absolu c’est la même chose que ce que j’essaie de faire partout : ouvrir et fabriquer un espace qui permet de circuler entre le réel (que ce soit ta cuisine ou une salle de cinéma) et l’espace intérieur de chacun, et de rendre tout cela poreux. La peau est un résonnateur comme un autre, ce n’est pas une frontière.
Ce qui change quand même pour cette oeuvre créée pour le cinéma, c’est que l’écoute sera ici un temps partagé. C’est différent des séances d’écoute ou chacun porte un casque. Là ce sera un vrai temps collectif. Et justement les situations d’écoute m’intéressent beaucoup. Elles donnent du sens aux œuvres. Et donc diffuser ça dans cette salle du café des images, un peu en forme de dôme avec des endroits où ça sonne différemment et un écran blanc, c’est passionnant.
« Pour moi les oreilles, c’est un point d’entrée. Après le son circule et on écoute avec le reste de nos corps […] Le son vient transformer ta manière de voir et de sentir »
Propos recueillis par Nolwenn Thivault dans le cadre du projet Cinémas sur écoute