L'écoute au centre
Nolwenn Thivault : La proposition de ton dossier nous a plu car tu parlais de développer un travail autour de l’écoute. Tu peux nous en dire plus ?
Claire Veysset : Cette question de l’écoute me revient souvent. C’est une vraie préoccupation depuis longtemps dans mon travail et je cherchais à la creuser davantage. Cet appel à projet tombait donc parfaitement.
Évidemment, le contexte très spécifique de la salle de cinéma a teinté ma recherche. Créer du son pour ce lieu-là n’est pas anodin. Et en ce sens, deux choses m’intéressaient
Déjà, le cinéma est comme un miroir qui nous renvoie à notre position de spectateur et même d’auditeur. Faire entendre l’écoute dans une salle de cinéma m’intéresse donc beaucoup. Je pense que cette écoute se fait à au moins deux, parce que écouter, c’est signifier à l’autre qu’on est là, qu’on le considère. L’idée est donc de permettre aux spectateurs-auditeurs de prendre conscience de cette position-là.
Ensuite, il y a le lieu-cinéma : C’est l’un des endroits dans lesquels je me sens le mieux. C’est un peu un cocon ou une église. On y cherche du répit. C’est un lieu préservé et public. On y accueille des gens. On aime aller au cinéma parce qu’on s’y pose. Et ça a aussi à voir avec l’écoute. J’ai vraiment envie de mettre cette dimension à l’honneur.
Et enfin, dans cet environnement de la salle, on est ensemble et on se considère sans forcément se parler. Cet aspect-là aussi m’intéresse.
« On aime aller au cinéma parce qu’on s’y pose. Et ça a aussi à voir avec l’écoute ».
Interroger le lieu cinéma
Nolwenn Thivault : Pourrais-tu nous situer l’œuvre que tu es invitée à réaliser à partir d’une salle de cinéma au sein de ton travail ?
Avant tout, je me définis davantage comme documentariste sonore que comme artiste.
Il y a quelques mois j’ai achevé un documentaire d’une heure sur Mayotte. Je l’ai réalisé presque entièrement seule, peut-être parce que je craignais le regard des autres, mais aussi pour me prouver que j’en étais capable. Maintenant que c’est clos, je suis ouverte à d’autres formes, d’autres façons de faire.
Enchaîner avec ce projet au Zola est une belle occasion de m’ouvrir à des environnements et problématiques que je connais moins tout en partant de questionnements et obsessions intimes malgré tout (comme celle de l’écoute). C’est ce que j’aime dans le documentaire : atteindre des environnements, des personnes, des univers, des métiers loin de soi.
En termes d’expérience donc, je suis riche de ce long documentaire qui m’a beaucoup appris pour la suite. Mais en même temps je suis heureuse de m’en détacher un peu pour m’attaquer à quelque chose de très différent, notamment dans la forme.
Sa définition du film sonore
Nolwenn Thivault : Que signifie film sonore pour toi ?
Claire Veysset : Quand j’entends « film sonore » j’entends « durée » et je pense au dispositif. Le temps qui se déroule dans un cinéma se différencie d’une installation sonore en déambulation. C’est moi qui vais venir aux oreilles des spectateurs assis, notamment par la spatialisation. Les spectateurs-auditeurs peuvent tout à fait être saisis par du son comme ils le seraient par des images en mouvement. Ca suppose qu’il•elles expérimentent la durée induite par le sonore. Comme pour le film en salle, c’est l’expérience de vivre quelque chose à plusieurs.
Dans ce cadre de la salle, j’ai envie d’offrir une œuvre linéaire, avec un cheminement – comme dans un film – mais tout en faisant confiance aux auditeurs.
Ensuite, faire un film sonore c’est utiliser le dispositif 5.1 et la spatialisation de la salle forcément. Et cela m’amène faire des choix. Par exemple : est-ce que je veux que tout le monde entende tout de la même façon ou pas ? Mais là il s’agit de détails, comme de la dentelle !
« C’est moi qui vais venir aux oreilles des spectateurs assis, par la spatialisation. »
Première visite au Zola
Nolwenn Thivault : Et jusqu’à présent, quelle a été ton expérience sur place ?
Claire Veysset : Comme je suis arrivée pendant un festival de cinéma au Zola, j’ai pu déambuler dans le lieu à n’importe quelle heure de la journée. J’ai beaucoup discuté avec l’équipe, j’ai vu quelques beaux films. Ça a vraiment été un lieu d’accueil pour moi. J’y ai pris quelques sons, j’ai interviewé des spectateurs. Ce premier passage sur le lieu de résidence a été un moment de recherche fructueux. Dans ces moments-là, tout me nourrit.
Dans les films programmés lors de mon passage, j’ai été très marquée par leur inscription dans un temps, quand on sent une certaine durée. Je pense notamment à un film dominicain, Candela. Tout le film se passe avant l’arrivée d’un ouragan qui n’arrive jamais. On sent l’attente. Je pense aussi à Mama, mama, mama d’une jeune cinéaste argentine, Sol-Berrueza Pichon-Rivière. Ça aborde la vie, la mort, la famille – des sujets de tous les jours. Mais j’ai aimé que l’air de rien on parle de ce qu’il y a grave. Et dans tous ces films il y a une apparente simplicité, une concentration dans le temps et l’espace et en même temps une grande sensibilité. Et d’une façon ou d’une autre ça m’inspire, et me donne envie d’épurer, d’être la plus économe possible. J’aime ces dispositifs assez simples en apparence et qui pour autant n’empêchent pas du tout la fantaisie.
Nolwenn Thivault : Dernière petite question : cet écran vide, ça t’évoque quoi ?
Claire Veysset : Cet écran vide me semble assez intéressant. J’aime l’idée de jouer avec ce manque, le cultiver. Et j’aime qu’on regarde tous dans le même sens même s’il n’y a rien à voir. On sent la présence de chacun et en même temps on n’a pas trop à se regarder.
Propos recueillis par Nolwenn Thivault dans le cadre du projet Cinémas sur écoute.
Pour aller plus loin et connaître tous les secrets de la fabrication du film sonore de Claire, cliquez ci-dessous :